Aller simple au large de terre-neuve
Pas de dessin aujourd'hui mais une petite histoire pour changer.
Un aller simple au large de terre-neuve
Dans la vie, il y a des moments où l'on doit faire des choix et on
aimerait bien souvent savoir si c’est le bon ou pas. Mais cela, je ne vous
l’apprends pas.
Ainsi j’étais arrivé à l’un de ces tournants de la vie où notre avenir
dépend de la décision que l’on est sur le point de prendre.
La vie devenant de plus en plus rude j'avais le choix, rester et prier
pour que les choses s’arrangent ou bien tenter ma chance ailleurs et partir pour
la deuxième Irlande. C’est ainsi que je me plaisais à appeler l’autre monde,
pour rigoler, où peut-être plutôt pour me rassurer.
Mon projet était simple. Partir le premier afin de trouver un travail
et un logement. Après cela seulement ma femme et mes enfants pourraient venir
me rejoindre, car nous avions juste assez pour payer un billet. Pour la date
j'avais longtemps hésité mais je comptais bien partir avant l'été. Or il se
trouvait justement que depuis quelques temps on ne parlait que de lui, de sa taille
aussi impressionnante que l’était son luxe, même la troisième classe,
disait-on, était confortable. Aussi avait-il aiguisé ma curiosité et c’est tout
naturellement sur lui que mon choix se porta. Oui, c’est à son bord que je me
rendrais dans le nouveau monde.
Le grand jour approchais et je passais ma dernière soirée à flâner sur
la côte avec ma famille pour m'imprégner une dernière fois de mon pays, mais
sans cesse mon regard se tournait vers l'horizon. Vers ce futur en qui j'avais
désormais placé tous mes espoirs. Une fois de plus la terrible question
s’imposa à moi, avais-je fais le bon choix ?
Enfin, l'heure tant attendue et tant redoutée arriva. J’avais été
terriblement angoissé durant tous ces derniers jours et redoutait d’être malade
pendant le voyage. Pourtant en gravissant la passerelle je m'aperçus que je ne
sentais plus aucun doute en moi, l'inquiétude qui m’avait habité venait de me
quitter en laissant place à une étrange quiétude. Serein, je regardais mon île
s'éloigner avec les miens et quand elle fut hors de ma vue, ce fut comme si on
m'avait coupé des chaines que j'avais portées durant toutes ces années.
Désormais je pouvais me tourner entièrement vers l'avenir.
C’était un vrai labyrinthe ! Tous les couloirs se ressemblaient
et je ne savais par où aller, heureusement un steward qui se trouvait là,
m’indiqua la direction de ma cabine. Une fois arrivé je saluais mes voisins de
lit et d’un seul coup d’œil fis rapidement le tour de la pièce. Deux couchettes
superposées, au milieu un lavabo avec un hublot au dessus et quelques placards.
Le hublot donnait sur les vagues toutes proches. Il faut dire que nos cabines
se retrouvaient au plus bas, ce qui ne nous offrait pas la plus belle des vues
mais c’était quand même relativement confortable. Le plus beau lui, se trouvait
bien au dessus de nous mais nous n’avions pas le privilège de connaitre ces
quartiers situés sur les ponts supérieurs. C’était le pont arrière qui nous
était réservé et je passais dessus la plupart de mon temps à divaguer sans but.
Appuyé contre le bastingage, mes principales activités se résumaient à regarder
au loin ou à observer les gens. Il y avait une chose qui m'amusait beaucoup,
c'était de voir les chiens des gens de la haute, aux races plus exotiques les
une que les autres, que l'ont venait promener dans notre coin. Un vrai défilé
de mode canin pour moi qui ne connaissais que les bâtards traînants sur les
chemins. Jamais je n’avais imaginé qu’il puisse en exister autant.
Cela
faisait maintenant trois jours que nous étions partis. La vie à bord était
rythmée par les heures des repas et tout était parfaitement paisible. Ce soir
là une petite fête avait même été improvisée dans la salle commune, mais le son
du violon et du bodhràn me rappelant brusquement ma famille m'avait mis mal à
l'aise. Je dû sortir sur le pont pour tenter de trouver un peu de calme loin de
la fumée et du bruit. Pourtant, ce fut pire encore ! Le doute dont je
croyais m'être débarrassé en partant de Queenstown se fit à nouveau tenace.
Cependant il y avait aussi autre chose qui me glaçait à présent le cœur, une
peur indescriptible dont je ne comprenais moi-même pas le sens. Je me rassurais
en pensant que sans doute était-ce simplement l’air glacial qui me faisait cet
effet. Je frissonnais, en vérité il aurait été préférable de rentrer au chaud
mais une voix intérieure me persuadait du contraire, aussi restais-je accoudé à
la rambarde.
Je
remontais mon col de manteau sur mon visage, quand j’eu soudain l'impression
d'apercevoir la silhouette de la statue de la liberté qui s’élevait face à
moi ! Certain d’avoir une vue correcte, je me retournais pour voir si
quelqu’un d’autre avait aperçu cette étrangeté, hélas il se trouvait qu’à ce
moment là j’étais seul sur le pont et personne ne pu me confirmer que je n’étais
pas fou ! La vision passa comme elle était apparue, soudainement. J’étais
certain d’une chose, c’est que nous n’étions pas encore à New-York. D’ailleurs
à présent, je ne voyais plus que les ténèbres qui s'intensifiaient chaque
minute d'avantage. Alors quoi ? Je n’avais pas souvenir d’avoir tant bu,
non, juste une pinte, ce ne pouvait être cela…
Des
idées sombres m’envahirent. Qu'avais-je donc pour devenir aussi pessimiste tout
d’un coup ? Moi qui avais la réputation de rester positif le plus souvent
possible.
Il ne
devait pas être loin de minuit lorsqu’un bruit vint me tirer de mes pensées. Un
bruit inhabituel comme un violent raclement et pendant un instant, il m’avait
semblé sentir le sol trembler. Surpris, je levais la tête et regardais autour
de moi pour en chercher la cause quand je vis à nouveau quelque chose passer
devant mes yeux, une forme fantomatique. Eclairée par la lune elle n’en
devenait que plus inquiétante mais je ne pus m'empêcher d'admirer sa taille
tant elle était imposante. Nous la dépassâmes et je détournais le regard. Un
peu plus haut quelqu'un avait crié.
Puis de
nouveau tout fut calme, du moins en apparence.
Ayant
pour ma part déjà oublié le bruit suspect, auquel je n'avais accordé sur
le moment que peu d'importance, je repartis une fois de plus dans mes pensées…
J’étais chez moi, en train d’observer la ridicule récolte que j’étais parvenu à
tirer de mon champ. Je revoyais en même temps le visage de ma femme qui ne
parvenait pas à masquer son inquiétude et ceux de mes enfants qui indiquaient
qu’ils avaient déjà tout compris. Il ne sert à rien de mentir à un enfant, il
peut deviner beaucoup de choses tout seul. Ainsi quand je leur avais annoncé
mon départ, ils n’avaient pas été surpris. Mes enfants... Au bout de combien de
temps parviendrai-je à rassembler assez d’argent pour qu’ils puissent venir me
rejoindre ?
Beaucoup
de bruits me parvinrent des ponts du dessus, ce qui m’empêchait de réfléchir
dans le calme. Il semblait que des gens étaient sortis dehors et cela
m’étonnait. En effet à cette heure tardive il était très rare de sortir sur le
pont, surtout par une température pareille ! D’ailleurs, j’étais moi-même
le seul de notre classe à se trouver dehors. Tous étaient au chaud bien trop
occupés à faire la fête. Que se passait-il alors pour que « les
riches », comme on les appelait entres nous, viennent s’agglutiner sur
leur pont ? Je tendais l’oreille pour entendre ce qu’ils disaient, sans
succès car tous parlaient en même temps et de plus je n’avais qu’une
connaissance approximative de l’anglais. Bah, sans doute une de leurs lubies et
ils ne tarderaient pas à retourner dans leurs salons et fumoirs. Étant à
présent complètement frigorifié, je décidais de repartir dans ma cabine. La
fête devait être finie à l’heure actuelle.
Je m’engageais dans le dédale des couloirs avec un soupir de fatigue, il me tardait d’aller me coucher et je ne pu m’empêcher de bailler sans faire attention au steward qui arrivait en face de moi. Nous nous rentrâmes dedans. Quel maladroit je faisais ! Reconnaissant le jeune homme qui aidait les gens à trouver leurs cabines je m’apprêtais à me confondre en excuse quand il m’interrompit d’un geste en me collant un gilet de sauvetage dans les mains. Je le regardais incrédule.
Je
baillais à nouveau, puis me rendit compte que la réponse se trouvait en réalité
dans mes mains. Le gilet de sauvetage !
Alors
c’était ça ! Nous coulions ? Impossible… Je me rappelais alors le
bruit entendu un peu plus tôt dehors et la forme blanche qui avait suivi…
Oh ! Ce pouvait-il que… Aie ! Mon épaule cogna brusquement contre le
mur, quelqu’un venait de me bousculer et cette même personne venait aussi en
quelques secondes de me redresser en m’attrapant par le bras.
C’est en ce moment que ça se passe, demain il sera trop tard. J’espère que vous ne comptiez pas aller vous coucher parce que c’est raté. Suivez-moi, je connais le chemin.
- Regardez-les, ils n’ont pas encore compris que nous étions perdus et préfèrent rester à bord. Comme je vous l’ai dit tout à l’heure, ce bateau est loin d’être insubmersible, aucun ne peut l’être ! Alors si on me le proposait je monterais dans ce fichu canot, et sans hésiter.
S’il
m’avait semblé interminable le temps que nous avions mis pour arriver ici, je
trouvais maintenant qu’il s’écoulait beaucoup vite que la normale. La proue
était déjà en partie sous l’eau et il n’y avait presque plus personnes dans les
salons de première classe, toutes les dames et leurs enfants de moins de treize
ans étaient partis dans les canots. Seuls restaient les hommes qui ne pouvaient
toujours pas partir car c’était cette fois au tour des femmes et des enfants de
deuxième et troisième classe de pouvoir embarquer. Le nombre de canots
diminuait à vu d’œil et il régnait sur le pont une ambiance particulière. De ma
place, j’entendais le chant des violons mêlé aux adieux des familles qui se
séparaient et on assistait à d’étranges choses, comme ce vieux couple de
première classe qui était assis sur des chaises longues et regardait se
dérouler la scène comme s'il s'agissait d'une pièce de théâtre dramatique. La
vision de ces gens résignés à attendre la mort était tellement irréelle et
bouleversante que je fus pris de vertige, la peur et le froid y étaient sans
doute aussi pour quelque chose cela faisait un bout de temps que j’étais
dehors. Tentant de reprendre mes esprits et mon calme je m’agrippais à une
barrière et plongeais machinalement mes mains dans mes poches pour les
réchauffer quand je sentis quelque chose au fond...Mon billet !
Je le
sorti tout froisser qu’il était et failli le lâcher de stupeur quand mes yeux
se posèrent dessus ! Avais-je rêvé ? Je regardais à nouveau. Il semblait
pourtant bien que non. A l'endroit où j'avais cru lire "aller pour :
Queenstown-New-York" quelques jours auparavant, il était en ce moment même
noté ceci : « Queenstown- 41°N, 50°O Terre-neuve ». Je n’en
croyais pas mes yeux ! Que cela voulais t-il dire ? Je me tournais
vers mon compagnon pour lui faire part de ma découverte mais m’aperçu qu’il
avait disparu.
Maintenant la foule prise au piège paniquait réellement, les gens courraient, les gens poussaient, j'étais bousculé de toute part et tombait même à plusieurs reprises, mais chaque fois je me relevais. Il fallait que je sache avant que tout ne soit terminé, oui, je voulais savoir à tout prix. Des yeux je cherchais un uniforme dans cette marée humaine qui m’entourait, et je finis par réussir à en arrêter un en lui saisissant le bras, avant qu'il ne me passe sous le nez. A la vue de ses insignes il y avait de forte chance que je sois tombé sur le commandant en second ou le premier officier. En temps normal j’aurais été gêné de déranger ainsi un personnage de haut rang, aussi je me hâtais de lui poser la question qui me brûlait les lèvres avant qu'il ne reparte.
Je vis
un gentleman habillé en tenue de soirée qui souhaitait montrer à tous comment
mourrait un anglais, sur ma gauche arriva un homme suivi de plusieurs chiens,
j’en reconnu quelques-uns. Apparemment il avait ouvert le chenil. Les musiciens
continuaient de jouer un air que je ne connaissais pas tandis qu’une bonne à
l’air perdu serrait contre elle un manteau de fourrure, sa maitresse était
partie sans elle. Au milieu attendait une famille nombreuse avec neuf enfants,
le plus petit, pauvrement habillé, pleurait tout ce qu’il pouvait. Mon cœur se
serra en repensant à mes deux fils que je ne verrais plus.
Sans
plus réfléchir, je m’élançais et sautais à mon tour dans l'eau pour éviter de
me retrouver projeté contre les parois. D’autres en revanche, avaient fait le
choix de monter tout à l’arrière du bateau en se cramponnant à tout ce qu’ils
pouvaient.
L'eau
gelée me taillada le corps et mon souffle se fit court. Claquant des dents je
tentais de bouger le plus possible mais déjà je ne sentais plus mes membres. Il
me restait en réalité juste assez de force pour pouvoir assister à la dernière
séquence du drame.
Cette fois nous y étions. Les lumières du paquebot s'éteignirent définitivement, il se trouvait maintenant à la verticale la proue entièrement sous l’eau. C’est quelque chose qu’il n’est pas souvent donné de voir dans sa vie et je regrettais le fait que je ne pourrais jamais raconter tout ce dont j’avais été témoin. Le temps s’était arrêté et le Titan semblait hésiter, puis dans un grondement spectaculaire, il se brisa en son milieu ! Des cris déchirèrent la nuit et je vis des corps tomber à l’eau les uns après les autres. La partie avant s’engouffra dans la mer en quelques secondes seulement. La poupe quant à elle continua de flotter à la surface durant quelques minutes avant de se remettre à la verticale et de s’enfoncer à son tour, emportant dans l’eau les dernières personnes encore accrochés aux balustrades. Les abysses engloutirent sans peine la carcasse noire et elle disparue. Le titanesque navire avait cessé d’être, jamais il ne verrait New-York et sa statue de la liberté.
Désormais
nous étions seuls. La mer se confondait avec le ciel, la lune éclairait de sa
pâle lueur des formes fantomatiques plus ou moins proches. Cela aurait pu être
infiniment beau s’il n’y avait pas eu les cris. De toute part, les gens
hurlaient tout l'air qui leurs restaient avant que leurs poumons ne soient
gelés.